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5 juin 2019

Rétention des migrants – scandale inutile !

Dans La Croix en date du 5/06/2019

Favorisée par le gouvernement, la rétention des migrants en situation irrégulière se stabilise à un haut niveau, entraînant une détérioration des droits, sans que cela ne favorise les expulsions, selon un rapport associatif.

La rétention permet-elle vraiment d’expulser plus de migrants en situation irrégulière ? Convaincu par cette hypothèse, le gouvernement a, dès la fin 2017, donné pour consigne aux préfets d’y recourir systématiquement, puis a adopté deux lois dans ce sens en 2018, l’une pour sécuriser l’enfermement des migrants dits dublinés, l’autre pour doubler de 45 à 90 jours la durée maximale de rétention. Il a aussi budgété la création de 480 nouvelles places d’ici à 2020.

Cette politique a bien conduit à une « banalisation de l’enfermement », assortie d’une « détérioration des droits », mais elle « n’a pas eu d’impact sur le taux d’éloignement », estiment les six associations présentes (Cimade, Forum réfugiés, France Terre d’Asile, Ordre de Malte, Assfam, Solidarité Mayotte…) dans les 24 centres de rétention administrative de France. Selon leur rapport annuel 2018, publié mardi 4 juin, 45 851 personnes ont été placées en rétention, dont 26 614 en métropole et 16 000 rien qu’à Mayotte. Soit un peu moins qu’en 2017, où 46 587 migrants avaient été enfermés.

Parallèlement, « on constate une augmentation de la durée de rétention », passée de 12,8 jours en 2017 à 14,6 jours en 2018, explique Jean-François Ploquin, directeur général de Forum Réfugiés Cosi. Cette tendance s’intensifie encore depuis le 1er janvier, date d’entrée en vigueur du doublement à 90 jours de la durée maximale, « avec une moyenne de seize jours sur les quatre premiers mois de 2019 ». Le rapport constate aussi que le nombre de personnes retenues très longtemps a « sensiblement augmenté », avec 12 % des personnes enfermées entre 40 et 45 jours en 2018, contre 8 % en 2016.

Ces pratiques conduisent à un « déficit de protection pour les plus vulnérables », estime le rapport. En particulier, bien que la France ait déjà été condamnée pour l’enfermement des enfants, 1 429 mineurs ont été placés en rétention avec leur famille en 2018, dont 1 221 à Mayotte et 208 en métropole. « 339 mineurs isolés ayant déclaré être âgés de 12 à 17 ans ont aussi été enfermés », ajoute Céline Guyot, de l’Assfam.

Aux enfants, s’ajoutent des femmes victimes de traite des êtres humains, des handicapés et des personnes atteintes de troubles psychiques graves. « En ce moment, à Toulouse, vous avez un monsieur atteint de troubles psychiatriques qui est en cellule d’isolement disciplinaire depuis trois mois », précise David Rohi, de la Cimade, qui note aussi une « multiplication des tensions » dans les centres avec des émeutes, des grèves de la faim, des tentatives de suicide…

Or, affirme le rapport, cette politique « ne se traduit pas par une augmentation du taux d’éloignement » depuis les centres de rétention (1). En métropole, quatre personnes retenues sur dix sont finalement expulsées, dont 16 % vers un pays européen, d’où il est plus facile de revenir. 56,2 % des personnes sont en effet libérées en cours de rétention soit parce que la procédure pour obtenir le laissez-passer consulaire vers le pays d’origine n’aboutit pas, soit par manque d’avion disponible, soit encore parce que le juge ordonne leur mise en liberté. Toutefois, parmi les personnes expulsées, un certain nombre l’ont été vers des pays où ils peuvent être en danger. En 2018, 12 renvois ont eu lieu vers le Soudan, 10 vers l’Irak, 7 vers l’Iran et 3 vers l’Afghanistan.