Kosovo – Albanie
Actualité du Kosovo (17/02/2017)
La Serbie prete à reconnaitre le Kosovo 21.04.2013
Albanie et Kosovo pays sûrs – Circulaire 2012
Visite de M° Delbes accompagnée de Forum Réfugié et d’un Médecin au Kosovo en 2011
Téléchargez dernier rapport OFPRA 2011
Histoire du Kosovo (D.Guichard) et situation géopolitique (J.Biro)
En 1912, lorsque l’Albanie s’émancipe de Constantinople, le Kosovo revient au jeune État serbe.
En 1919, quelques mois après l’Armistice de 1918 le Kosovo est rattaché au nouveau Royaume formé avec la Serbie, la Croatie et la Slovènie. Le royaume yougoslave, dominé par les Serbes et confronté à la majorité albanaise au Kosovo, installe des colons serbes et refuse tout développement culturel autonome des Albanais, ce qui explique la collaboration de certains d’entre eux avec l’Axe lors de l’occupation de la Yougoslavie durant la Seconde Guerre mondiale.
En 1941, après la capitulation de la Yougoslavie au cours de la deuxième guerre mondiale, presque tout le Kosovo faisait partie de la « Grande Albanie » proclamée par Mussolini puis reprise par les nazis. L’histoire s’inverse pendant la Seconce Guerre Mondiale, avec le retour en force des Albanais musulmans rassemblés sous le même uniforme, celui de la 21ème Division SS de montagne Skanderbeg, ayant pour mission l’extermination des Serbes. Le renversement des rapports de force a conduit à des actes de vengeance des Albanais envers les Serbes, principalement envers des colons, qui ont été domiciliés, dans les années 20, au Kosovo, afin d’y augmenter la part de la population serbe. Environ 20000 Serbes se sont enfuis, beaucoup ont été tués.
Après avoir regardé les Albanais kosovars comme des collaborateurs, la Yougoslavie adoucit les pratiques anti-albanaises au nom de la fraternité socialiste. Ainsi, la Constitution de 1974 pensée par Tito pour affaiblir le poids des Serbes dans l’État fédéral, accorde au Kosovo le statut de province autonome à l’intérieur de la République de Serbie. Cependant, le Kosovo reste une aire sous-développée, marquée par une forte croissance naturelle de la population albanophone qui amoindrit le poids démographique des Serbes kosovars, nourrissant ainsi leur sentiment de marginalisation.
Autonomie mais toutefois pas de république sous Tito
Dans la Yougoslavie de Tito, le Kosovo, tout comme Voïvodine, s’était vu attribuer, après 1945, le statut de province autonome au sein de la République partielle de Serbie. A cette époque, 790000 personnes vivaient au Kosovo, dont 68% d’Albanais et 24% de Serbes.
La police secrète d’Aleksandar Rankovic, qui avait mauvaise réputation, se chargeait de plus en plus de contrôler le Kosovo. De 1945 à 1966, Rankovic obligea environ 200000 Albanais du Kosovo musulmans enregistrés en tant que « Turcs » à s’expatrier en Turquie. En 1966, Tito l’écarta du pouvoir. Avec la nouvelle Constitution yougoslave, les deux provinces autonomes avaient obtenu en 1974 presque le même statut que les six républiques partielles. Pourtant, le droit de pouvoir s’autoproclamer Etat était resté refusé au Kosovo et à Voïvodine.
L’affrontement et l’internationalisation du problème kosovar
Dans les années 1970, l’accélération des revendications albanaises est la conséquence de l’émergence d’une nouvelle élite albanophone, moderne et universitaire, centrée sur la jeune université de Pristina, laquelle supplante l’élite traditionnelle, clanique et rurale, issue de l’administration ottomane.
Tito, qui était pour les Albanais du Kosovo une sorte de protecteur, décèda le 4 mai 1980. Un an plus tard, lors de violentes émeutes à Pristina, des étudiants albanais du Kosovo réclamèrent le statut de République pour le Kosovo. De nombreux Serbes quittèrent le Kosovo dans les années 80, justifiant que les Albanais les discriminaient et les brimaient. Cependant, la situation économique désastreuse persistante, qui avait aussi entraîné beaucoup d’Albanais du Kosovo à émigrer en tant que main-d’oeuvre étrangère, pourrait avoir été la raison première de la migration serbe. Sans compter que la croissance démographique rapide des Albanais du Kosovo dans les années 80 conduisit à des polémiques constantes. Beaucoup de Serbes leur ont reproché de vouloir ainsi modifier consciemment les rapports de majorité et de puissance. Selon le recensement de 1981, à cette époque, 77% des 1,6 million d’habitants du Kosovo étaient des Albanais, 13% des Serbes et 10% d’autres groupes ethniques.
Abolition de l’autonomie de la province
L’ambiance animée et de plus en plus nationaliste parmi les Serbes a permis l’ascension de Slobodan Milosevic. Elu Président de Serbie en septembre 1987, il supprima rapidement l’autonomie de la province du Kosovo puis a dissous son Parlement et son gouvernement en 1990 déclenche une répression anti-albanaise sévère. Les Albanais répondent par un mouvement non-violent structuré autour de la Ligue démocratique du Kosovo (LDK), menée par l’intellectuel Ibrahim Rugova. En 1991, après un référendum, les Albanais ont proclamé « l’Etat souverain » du Kosovo, que, cependant, seule l’Albanie reconnut.
L’écrivain Ibrahim Rugova, dont le propos reposait sur la non-violence, a été élu Président en 1992 à 99,5% lors d’élections clandestines.
Déçue par la stratégie de résistance passive, une nouvelle génération prend alors la voie de la radicalisation et, en 1996, l’Armée de libération du Kosovo (UCK) est constituée.
Les années, qui suivirent l’abolition de l’autonomie de province, ont été marquées par une serbisation systématique. Ainsi, par exemple toutes les écoles devaient enseigner d’après le programme scolaire serbe, les médecins et le personnel soignant albanais du Kosovo des hôpitaux publics ont été massivement licenciés. Il en était de même pour des milliers d’Albanais du Kosovo dans d’autres secteurs, s’ils ne signaient pas un acte de loyalité envers la Serbie. Il s’en est suivi un boycott de toutes les institutions serbes par les Albanais du Kosovo. En même temps, ceux-ci avaient mis en place clandestinement un système scolaire et un système de santé parallèles – généralement dans des maisons privées. Un sentiment de grande insécurité et de crainte parmi les Albanais du Kosovo provenaient de la terreur quotidienne de la police.
En 1998, la guerre civile éclate. L’escalade de la violence, puis l’expulsion d’une partie des Albanais hors du Kosovo provoquent l’intervention des puissances occidentales de l’OTAN et la mise sous tutelle de la région par l’ONU après une guerre aérienne contre la Serbie.
Le 2 juillet 1999, le Français Bernard Kouchner est nommé administrateur civil de la province (haut-représentant des Nations unies pour le Kosovo).
À Mitrovica, ville du nord de la province partagée entre Serbes et Albanais, les tensions toujours vives en 2000 montrent que la présence internationale n’empêche pas la confrontation entre les deux communautés. D’une part, les Serbes cherchent à vider de leurs habitants albanais les quelques portions du territoires à majorité serbe, espérant un rattachement de ces zones à la Serbie. D’autre part, les Albanais acceptent mal la présence serbe, même très minoritaire, et craignent une amputation du Kosovo.
Cette hostilité manifeste entre Albanais et Serbes, la volonté d’indépendance albanaise, ainsi que l’engagement de l’ONU à ne pas modifier les frontières de la Serbie, amène le Kosovo a proclamé le dimanche 17 février 2008, une indépendance « qui marque », selon son Premier ministre Hashim Thaci, « la fin de la dissolution de la Yougoslavie ». Elle a aussitôt été rejetée par la Serbie, qui a promis d’utiliser tous les moyens légaux et pacifiques pour annuler la fondation de ce « faux Etat », selon la formule du Premier ministre serbe Vojislav Kostunica.
Publié par Isabelle Bal sur Blog http://18alexterieurexyougo.blogspot.com
La mission de sécurité européenne se renforce
La force de l’Otan au Kosovo (KFOR) et la mission de l’Union européenne (EULEX) ont renforcé leur présence le premier week-end de janvier 2009, dans le nord du Kosovo à la suite d’une série d’incidents survenus notamment à Mitrovica, une ville divisée entre Kosovars d’origine serbe et Kosovars d’origine albanaise.
Déployée le 9 décembre 2008, EULEX , mission juridico-policière a pris le relais de la Mission des Nations Unies au Kosovo (MINUK). C’est à ce jour, la plus importante mission civile mise en place dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de Défense (PESD ).
Mitrovica, » chaudron » ethnique du Kosovo
Mitrovica Envoyé spécial
Coupée en deux entre Serbes et Kosovars, la ville est devenue une zone de non-droit propice aux trafics
REPORTAGE – Le Monde 19 février 2009
Un soir de janvier, l’un des plus fameux criminels de Mitrovica Nord – partie de la ville kosovare peuplée par les Serbes – a eu un fils. Pour fêter l’événement, il s’est rendu près du pont central. C’est un lieu historique d’affrontements avec les forces de l’ordre et la communauté albanaise qui vit, elle, au Sud. Sans égard pour les nombreux passants, il a tiré une salve en l’air avec son arme automatique. Le lendemain, à la radio, le chef de la police locale a livré une autre version des faits : un homme transporté de joie s’était amusé avec des pétards.
Cette anecdote nous est racontée par un activiste courageux, Momcilo Arlov, qui dirige le Centre pour le développement de la société civile (CCSD). Sa femme était présente au moment des faits. Il s’en est ouvert, ensuite, à des représentants de la KFOR (la force militaire de l’OTAN) et d’Eulex, la nouvelle mission civile européenne chargée de l’application de la loi. » Ils nous ont demandé si on voulait déposer plainte, dit-il. Mais, bordel, ce type sait où on habite ! Pourquoi devrait-on faire le boulot de ces organisations internationales censées nous protéger ? »
Mitrovica a une réputation déplorable : celle d’un chaudron ethnique, où les débordements sont les plus spectaculaires du Kosovo. Divisée en deux par la rivière Ibar, la ville abrite au nord les éléments radicaux de la communauté serbe, forts du soutien de leur patrie voisine. Le 17 mars 2008, un mois après l’indépendance, de violents heurts ont opposé les Serbes de Mitrovica aux forces internationales. Ces dernières avaient délogé du tribunal par la force d’anciens employés serbes qui s’y étaient installés. Un soldat ukrainien a péri ce jour-là. Mais la tempête peut éclater pour un motif bien moindre. Le 30 décembre, plusieurs magasins albanais ont été brûlés après la blessure à l’arme blanche d’un jeune Serbe lors d’une rixe banale.
La plaie de Mitrovica n’est pas uniquement la » ségrégation « , selon le mot de Momcilo Arlov. C’est aussi l’essor des activités criminelles, notamment de la contrebande d’essence. L’an passé, les postes douaniers au nord de la ville ont été incendiés, ouvrant la voie à tous les trafics. » La situation s’est aggravée dans cette zone depuis l’indépendance, reconnaît Yves de Kermabon, le chef français d’Eulex. Il faut refaire fonctionner les douanes pour éviter que ce soit une gigantesque zone de duty free. Depuis le 9 décembre, on a replacé des fonctionnaires aux postes. On cherche une voie technique pour rétablir les douanes, mais ça passera par une coopération avec les Serbes. »
Pour les Serbes, la question est politique. » Il ne peut y avoir de bonnes raisons pour permettre aux Kosovars de planter leur drapeau à cet endroit « , résume Olivier Ivanovic, secrétaire d’Etat du ministère serbe pour le Kosovo.
Depuis deux semaines, les douaniers notent à nouveau le contenu des marchandises qui transitent dans les deux sens, mais aucune taxe n’est acquittée. Beaucoup de voitures circulent toujours sans plaque d’immatriculation. » Nos pertes sont estimées entre 1,5 et 2 millions d’euros par semaine, avance Blerim Shala, un des leaders du parti d’opposition, l’Alliance pour l’avenir du Kosovo (AAK). Notre gouvernement considère que c’est la responsabilité des organisations internationales. Du coup, la zone est un paradis pour les criminels, liés aux extrémistes serbes. »
En réalité, l’essence réconcilie les criminels albanais et serbes, selon plusieurs sources. Achetée en Serbie sans paiement de taxes à l’exportation, elle est ensuite acheminée au Kosovo sans droits de douane, puis vendue à un prix inégalé en Europe : 0,75 euro le litre !
Face à ces intérêts criminels, les organisations internationales sont corsetées dans leurs engagements divers, parfois contradictoires. L’Eulex doit rester neutre sur le statut du Kosovo, disent les Serbes ; ses policiers et ses douaniers ne peuvent donc défendre l’intégralité territoriale de l’ancienne province. Quand les militaires français de la KFOR ont récemment encadré des équipes venues expliquer, dans les villages serbes, près de Mitrovica, les modalités de recrutement de la nouvelle police kosovare, ils ont fait face à des manifestants hostiles.
Les autorités serbes dites parallèles, à Mitrovica Nord, tiennent un discours radical qui empêche tout dialogue. » Leur nombre n’est pas très important, mais ils disposent d’une puissance financière et politique, note le maire albanais de Mitrovica Sud, Bajram Rexhepi. Ils ont intérêt à l’anarchie et représentent un obstacle au rapprochement entre les communautés. »
Pieter Feith ne dit pas autre chose. Le représentant spécial de l’Union européenne au Kosovo aimerait que Belgrade contribue davantage à une normalisation et rompe avec les incendiaires. » Certains leaders en contact avec la Serbie intimident la population. Il y a une invitation à la violence, note-t-il. Nous devons nous assurer que cette partie du territoire ne se transforme pas en trou noir. »
Un des principaux accusés, du côté des nationalistes serbes, nous accueille dans une pizzeria décorée d’icônes orthodoxes. Directeur de l’hôpital de Mitrovica Nord, Marko Jaksic balaie les critiques au sujet des réseaux criminels. » Propagande occidentale ! « , assène-t-il. » Le trou noir de l’Europe, c’est le Kosovo, avec ses trafiquants de drogues. » Est-il prêt à soutenir l’action des policiers et des magistrats d’Eulex ? » Nous ne collaborerons pas avec Eulex, mais nous ne les dérangerons pas dans leur travail. » Le statu quo peut compter sur de chauds partisans.
Piotr Smolar
© Le Monde
Kosovo: la situation reste explosive (diplomate russe) (http://fr.rian.ru/world/20090506/121467734.html)
| 06/ 05/ 2009
SARAJEVO, 6 mai – RIA Novosti.
La situation à Kosovska Mitrovica demeure très tendue, a confié à RIA Novosti Andreï Dronov, directeur de la chancellerie diplomatique russe à Pristina.
Située dans le nord du Kosovo, la ville de Kosovska Mitrovica est divisée en deux communautés: serbe et albanaise.
« Les Serbes manifestent depuis plus d’une semaine contre le rétablissement des maisons ayant appartenu autrefois aux familles albanaises. Les manifestants sont dispersés chaque jour par des policiers de l’Union européenne qui utilisent un matériel spécial à cet effet », a déclaré M. Dronov, ajoutant que la « situation dans la ville était explosive ».
Selon le diplomate russe, il existe un risque d’affrontements entre les Serbes et les Albanais.
Les actes de protestation lancés dans la localité de Brdjani (nord de Kosovska Mitrovica) tiennent à l’intention de plusieurs familles albanaises de regagner cette partie de la ville. Les Serbes protestent contre le rétablissement de cinq maisons albanaises détruites pendant la guerre de 1998-1999. Les travaux de reconstruction se déroulent à proximité de la « ligne jaune » qui divise la ville depuis 2000.
Les Serbes ne s’opposent pas en principe au retour d’Albanais dans la partie nord de Kosovska Mitrovica, mais exigent que soient également créées des conditions permettant le retour des réfugiés serbes au Kosovo.
Interrogé sur l’échec des efforts déployés par les ambassadeurs britannique et italien au Kosovo en vue de régler la situation à Kosovska Mitrovica, M. Dronov en a rejeté la responsabilité aux autorités de la partie sud de la ville, y compris à son maire Bajram Rexhepi.
« Le retour des refugiés albanais n’est absolument pas concerté avec la communauté serbe », a constaté le diplomate russe, soulignant que son collègue britannique avait essayé de le faire comprendre à la partie albanaise, mais celle-ci avait fermé l’oreille à ses recommandations.
D’après M. Dronov, les contacts engagés entre les Serbes et les Albanais par l’intermédiaire de la Mission européenne de justice et de police (EULEX) ne portent pas de fruits.
« Je ne vois pas de progrès sérieux en ce qui concerne le retour des réfugiés. Dans cette question, EULEX prend le parti des Albanais », a-t-il constaté.
Paru dans La Croix 31/08/2009
En Albanie, la vengeance condamne des familles à une fuite perpétuelle.
Le code d’honneur albanais exige que la famille d’un meurtrier paye le prix du sang. Ces vengeances sans fin détruisent la vie de nombreuses familles. TIRANA, correspondance particulière.
Il est policier, mais cela ne l’a pas protégé. Quand le Kanun, ce code d’honneur albanais d’un autre âge, qui autorise le meurtre au nom de l’honneur, a frappé à sa porte, Alban a dû rendre son uniforme, son arme, et partir loin se cacher avec sa femme et ses deux petits garçons qui, à l’époque, avaient 11 et 13 ans. Aujourd’hui, ils ont 17 et 19 ans et se cachent toujours. Tous fuient ceux qui veulent se venger du meurtre d’un des leurs, tué par le frère d’Alban au cours d’une dispute. Alban n’est pour rien dans cette histoire. Mais comme son frère a pu s’échapper à l’étranger après son crime, c’est lui et tous les hommes de son clan qui doivent répondre du meurtre. C’est écrit dans le Kanun et aujourd’hui encore on n’échappe pas à cette règle. La vengeance peut perdurer jusqu’à sept générations.
Il a fallu attendre que la nuit soit tombée sur les faubourgs de Tirana, déployer des trésors de diplomatie, s’assurer des services d’un conciliateur officiel, Gjin Marcu, pour qu’Alban accepte finalement de témoigner. Non pas qu’il ait particulièrement peur : il vit avec l’angoisse au ventre depuis presque sept ans. Mais parce qu’il ne voyait pas ce que ça pouvait changer : « J’ai écrit au président, au premier ministre, j’ai envoyé une cassette vidéo à la présidente du Parlement européen, j’ai parlé avec des journalistes, s’insurge-t-il. Mais rien n’a changé, personne ne peut m’aider, mes anciens collègues ne peuvent me protéger, mon propre pays ne peut protéger mes enfants. Je suis condamné à me terrer avec mes fils. Je n’en peux plus. »
Il a le teint blafard des détenus qui ne voient jamais le soleil, l’aspect négligé de ceux qui ne voient plus l’intérêt de se maintenir en forme. Mais sa colère est intacte, comme au premier jour. Il n’a jamais baissé les bras. Il nous montre, furieux, toutes les lettres qu’il a écrites à toutes les instances possibles. Personne n’a daigné lui répondre. Il a envoyé une commission de réconciliation demander pardon à la famille de la victime, procédure que prévoit le Kanun. Mais la famille offensée ne veut rien savoir. Elle veut sa peau, à défaut celle de l’un de ses fils. Il doit payer le prix du sang.
Il a essayé de fuir. De nuit, et en payant très cher. Il a réussi à atteindre la Croatie avec ses garçons. Mais au bout d’un mois en camp de rétention, on est venu lui dire que « les victimes du Kanun ne peuvent prétendre au statut de réfugié ». Retour à la case départ, clandestinité, déménagements continuels, vie entre parenthèses, pas d’amis, pas de travail et surtout pas d’école pour les enfants qui s’instruisent via la télé et, depuis peu, grâce à Internet.
Alban nous interdit de les photographier. « Nos vengeurs ne connaissent pas leurs visages d’aujourd’hui, car, quand on est partis, c’étaient des enfants. Maintenant ce sont presque des hommes. Ils sortent de temps en temps avec mille précautions. Si leur visage devient connu, alors c’en est fini de cette liberté. » Leur mère pleure en silence dans un coin de la cuisine. C’est la seule qui peut sortir sans risque. Le Kanun ne la menace pas. En Albanie, les femmes ne comptent pas pour grand-chose. C’est donc elle qui fait vivre la famille et c’est pareil dans toutes les familles frappées par le Kanun. Celles qu’on appelle les emmurées.
Selon Sœur Christina, une catholique allemande qui travaille depuis six ans en Albanie, le tiers de la population du nord du pays serait touché par le Kanun. Selon Gjin Marcu, au moins 5 000 familles seraient concernées dans le Sud. Sœur Christina a sa traduction allemande du Kanun dans le couvent refuge qu’elle a créé à Shkodra, capitale du nord du pays. Mais elle ne veut pas en entendre parler. Son arme à elle, c’est la parole de Dieu. Avec son équipe, deux sœurs suisses allemandes qui se démènent tous les jours dès l’aube, elle approche autant les vengeurs que les emmurés, car, pour elle, ce sont tous des victimes.
« Le poids social est énorme, dit-elle. Ici, tous les jours les gens demandent à ceux qui doivent se venger : « Alors tu la prends quand ta vengeance ? » Et moi tous les jours je leur dis : « Et le pardon tu y penses ? » Je fais contrepoids. Mais le Kanun est ancré plus profondément dans leurs âmes que la Bible ou le Coran. Pourtant ils sont très croyants. » Si croyant qu’avant de tuer le fils de celui qu’il soupçonne d’avoir tué son père, il y a soixante ans, Pietri, un vieil homme de 63 ans s’est signé, a demandé pardon au Seigneur. Puis a tiré. Maintenant ses fils et son petit-fils Viktor doivent se cacher. « Viktor travaille avec nous au couvent, dit Sœur Christina. Mais il vit terrorisé. Je suis allée voir le grand-père en prison, avant qu’il ne meure, et je lui ai demandé : « Mais pourquoi tu as fait ça ? » Il m’a répondu : « Je ne pouvais pas laisser cette honte sur les enfants. » » Pour Gjin Marcu, « le Kanun est la seule loi que reconnaissent et respectent les Albanais. Et tant que l’État ne sera pas assez fort pour s’imposer, ils la suivront. C’est une question de mentalité », dit-il.
JACOBI Thomas