Actualité du Kosovo (17/02/2017)
La Croix – vendredi 17 février 2017
MONDE
Au Kosovo, le long chemin vers la paix avec le passé
MARION DAUTRY
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LE PRÉSIDENT HASHIM THAÇI A PRÉSENTÉ CETTE SEMAINE SON PROJET DE COMMISSION POUR LA VÉRITÉ ET LA RÉCONCILIATION, MAIS LES CONDITIONS D’UN TEL PROCESSUS SONT LOIN D’ÊTRE REMPLIES.
Belgrade (Serbie) De notre correspondante
« Les nouvelles générations doivent savoir ce que les anciennes ont fait. La confiance mutuelle doit être gagnée », a déclaré le président kosovar Hashim Thaçi lors de la première réunion pour l’établissement d’une commission pour la vérité et la réconciliation, lundi dernier. Soutenu par le gouvernement, il a présenté le projet en présence de représentants des minorités du Kosovo et de familles de victimes de la guerre.
Son entourage promet une nouvelle réunion « dans les jours ou les semaines à venir » avec pour prochaine étape « la création formelle de la commission ». Toutefois l’idée n’a pas été accueillie partout avec optimisme. L’association L’Appel des mères à Gjakovë/Djakovica, dans l’est du pays, a menacé d’organiser des manifestations d’opposition si le président ne renonce pas à son projet. Pour ses membres, la réconciliation est inacceptable tant que le destin des personnes disparues n’a pas été élucidé.
La guerre du Kosovo de 1998-1999, lors de laquelle la majorité albanaise s’était rebellée contre la Serbie et avait obtenu l’indépendance grâce à une campagne de bombardement de l’Otan, a laissé des blessures vives. Plus de 10 000 Kosovars et 2 000 Serbes ont été tués, et plus de
1 660 personnes sont toujours portées disparues.
La minorité serbe s’est retranchée dans des enclaves et dans le nord. Elle refuse l’autorité de Pristina et considère le Kosovo comme une province serbe. Les crimes commis pendant la guerre qui n’ont pas été jugés et les exactions qui ont suivi, comme les destructions d’églises et de monastères en 2004, ont laissé un goût amer. Côté albanais, le souvenir des massacres et des déplacements forcés par les troupes serbes sont tout aussi vifs. La confiance entre la minorité et la majorité est quasi inexistante. La cohabitation dans une paix fragile fonctionne. Des relations économiques se lient et des initiatives de promotion de la mixité voient le jour. Mais il suffit de peu pour réveiller les craintes et la méfiance.
Pour Gazmen Salijevic du Centre européen pour les questions de minorités au Kosovo, « cette réunion pourrait être le début d’une grande idée. Nous avons besoin de parler du passé. » Mais la commission « ne pourra pas fonctionner sans la pleine et entière participation de toutes les communautés du pays ». Les Serbes en premier lieu, mais aussi les Roms, les Goranis (musulmans slaves), les Bosniaques… Il souligne la difficulté de convaincre toutes les parties de dialoguer et l’instabilité politique du pays qui pourrait freiner le processus, voire l’arrêter.
Le timing de cette réunion a également soulevé des suspicions quant aux motivations des créateurs de la commission. En effet, la détermination d’Hashim Thaçi d’être le leader du processus de réconciliation est assez neuve. « Où était-il pendant 17 ans ? », commente un journaliste local, qui rappelle que la Cour spéciale pour les crimes de guerre commis au Kosovo doit bientôt commencer ses travaux. Établie à La Haye, où se trouve déjà le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, elle doit faire la lumière sur les crimes commis par l’Armée de libération du Kosovo. Parmi les noms de potentiels accusés figure précisément celui de l’ancien chef de guerre Hashim Thaçi.
repères
Une difficile reconnaissance internationale
La déclaration d’indépendance du Kosovo date du 17 février 2008, il y a neuf ans. 113 États dans le monde le reconnaissent, et 35 y demeurent opposés, en particulier la Serbie qui le considère toujours comme une de ses régions.
Signe d’une petite avancée, le pays a obtenu fin 2016 son indépendance téléphonique, se dotant le 15 décembre dernier de l’indicatif +383.
La Croix – vendredi 17 février 2017