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11 mars 2017

Accueil de Migrants en Serbie

Dans Le Monde mag du 11/03/2017

9 – à Belgrade, une Maison grande ouverte aux migrants.
C’est une adresse pas comme les autres.
Derrière une porte vitrée, à deux pas de la gare de Belgrade, en Serbie, s’ouvre une Maison des migrants, un refuge pour ceux qui n’ont plus rien. Le centre d’accueil de Refugee Aid Miksaliste est un pied de nez au manque d’hospitalité de l’Europe. Ici, nul besoin d’être enregistré, répertorié, d’avoir laissé ses empreintes. On pousse la porte incognito.
En plein centre-ville, cette  » maison bleue  » version 2017 accueille sans bruit. Elle a été créée un beau matin de 2015, juste à côté du plus grand squat de migrants de ce pays des Balkans.  » Lui, vous l’avez vu dix fois en photo dans la presse, durant la vague de froid qui a glacé l’Europe de l’Est, en janvier, rappelle Owen Breuil, le coordonnateur de la mission Médecins du monde (MdM) en Serbie. Mais la Maison des migrants, elle, a moins fait les titres des journaux étrangers. Et pourtant, c’est une belle preuve de l’hospitalité serbe.  » En 2016, le lieu a reçu l’European Citizenship Award, décerné par le Forum civique européen.
Derrière cette idée, un homme. Peu connu à l’Ouest, Ivan Lalic est une figure charismatique de la capitale serbe. Côté pile, ce quadragénaire est un écrivain et dramaturge à succès.  » Il sent bien la société civile, a écrit une belle pièce sur l’exode des jeunes cerveaux « , observe Bruno Rotival, un Français qui dirige à Belgrade le bureau humanitaire de l’Union européenne, vers laquelle avance la Serbie. Lalic est aussi connu pour avoir ouvert dans la capitale serbe l’un des lieux le plus  » in  » qui soit : la Mikser House. Cet immense espace à l’armature d’acier est un lieu dans la veine du Centquatre, à Paris, à la fois bar, théâtre et salle de conférences. Côté face, Ivan Lalic est un héros du siège de Sarajevo, épisode-clé dans l’histoire de la région.
Sa vie a basculé le 18 mai 1992. Ce jour-là, le convoi de 4,5 tonnes de médicaments qu’il accompagne à Sarajevo pour le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) est attaqué. Un homme meurt à ses côtés, lui est grièvement blessé.  » Un soldat musulman m’a sauvé, raconte-t-il, encore ému. J’ai essayé de le retrouver, mais il est mort au combat. Alors, en son souvenir, je milite pour la rencontre des peuples, les échanges culturels et l’ouverture.  » C’est un peu pour lui qu’il va ouvrir prochainement dans la capitale bosniaque – la Sarajevo reconstruite – un lieu sur le modèle de sa Mikser House, pour y porter le  » partage  » et l' » échange « . Deux mots qui définissent aussi sa Maison des migrants.
Cet espace ouvert 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 se veut le  » sweet home  » perdu des Afghans, Syriens, Irakiens, Pakistanais… Quand on franchit la porte du 15 de la rue Gavrila Principa, on tombe au milieu d’une grande salle commune où chacun vit sa vie, assis sur un tapis, un thé ou un café, à la main. On attend au chaud que la journée s’écoule, en chargeant son téléphone et en se connectant à la Wi-Fi. Un lieu de vie où se relaient les associations.  » Au départ, j’en avais sollicité quatre pour ouvrir le Miksaliste avec moi. Mais en une nuit, une quinzaine m’ont contacté « , se réjouit Ivan Lalic. De l’Unicef à Terre des hommes, en passant par Médecins du monde, UN Woman, Praxis, Care ou Save The Children, 17 ONG prennent aujourd’hui part à l’aventure.  » Nous sommes présents depuis le début. On a une salle de consultation dans le bâtiment attenant « , explique Jean-François Corty, le directeur des opérations internationales de MdM, dont les équipes traitent notamment les pathologies mentales des migrants. À côté, Médecins sans frontières dispose d’une buanderie où chaque migrant peut faire laver et sécher ses vêtements et prendre une douche.
L’idée du Miksaliste est née à l’été 2015.  » Les migrants arrivaient comme un flot continu dans la capitale « , se souvient Ivan Lalic. Jusqu’à 10 000 réfugiés traversaient le pays chaque jour.  » On pensait que le -gouvernement allait agir. Mais comme il n’a rien fait, on a pris les choses en main, lancé une campagne pour regrouper le bénévolat et fournir une aide efficace.  » La Maison, cofinancée par Lalic et les associations, bénéficie de subventions de l’Union européenne.  » On a servi jusqu’à 1 300 repas quotidiens, puis on a monté des ateliers pour faire la cuisine avec les migrants. C’est formidable de voir la puissance de la société civile, son engagement, ici. Après, on peut aussi se demander si c’est par opportunisme que le gouvernement nous laisse la place de travailler ou si c’est vraiment pour intégrer la société dans l’action « , ajoute-t-il. Mais Ivan Lalic critique bien plus la politique européenne que les dirigeants de Serbie, qui, à ses yeux,  » font vraiment ce qu’ils peuvent « . Face à une Europe bunker, 2 700 migrants sont aujourd’hui bloqués à Belgrade.
Maryline Baumard (Le Monde – Mag du 11/03/2017)