La reconduction de Pascal Brice à la tête de l’Ofpra se heurte à une opposition au sein du ministère de l’intérieur
Office de l’asile cherche direction. Depuis le 29 décembre, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) n’a plus de patron. Pascal Brice est arrivé au terme de son mandat. Après six ans à la tête de cet établissement, le diplomate de 52 ans n’a pas été reconduit – alors qu’il en a émis le souhait – mais personne d’autre n’a été nommé à sa place. Le choix est entre les mains d’Emmanuel Macron. Mais le président de la République doit s’appuyer sur des propositions des ministres de l’intérieur et des affaires étrangères.
La situation de vacance n’est pas inédite et s’explique, pour partie, par la mobilisation tous azimuts du gouvernement sur la crise des « gilets jaunes ». Toutefois, à une période où la demande d’asile en France est en hausse, où les Etats européens se déchirent pour se répartir les migrants secourus en Méditerranée, et où d’autres tentent de traverser la Manche pour demander refuge en Angleterre, ce flottement a de quoi interpeller.
En réalité, il est révélateur des dissensions qui traversent le gouvernement sur le dossier migratoire, tiraillé entre les deux bouts d’une politique que le président actuel comme le précédent ont revendiqué vouloir et pouvoir tenir « en même temps », en alliant humanité et fermeté. Le choix du directeur sera « l’incarnation d’une politique sur l’asile », analyse un technicien du sujet, sous le couvert de l’anonymat. Et au ministère de l’intérieur, ils sont un certain nombre à vouloir tourner la page des années Pascal Brice dont ils supportent mal l’autonomie. Et encore moins le fait qu’il joue de sa proximité avec le président pour la défendre. « Il est très inséré dans la Macronie, donc il joue la carte de la présidence et se considère au-dessus de sa tutelle, au point qu’il ne veut pas lui rendre compte », résume un cadre place Beauvau. « Il a shunté l’échelon ministériel et ça a créé du ressenti contre lui », corrobore un autre.
Depuis plusieurs mois, une ambiance à couteaux tirés s’est installée entre le patron de l’office et une partie de la direction générale des étrangers en France (DGEF), qui pilote au ministère de l’intérieur la politique française en matière d’immigration, d’asile et d’intégration. C’est elle qui exerce, depuis 2010, la tutelle administrative de l’Ofpra, dont elle détermine les moyens et les objectifs. « Il y a une difficulté d’entente flagrante, résume un ancien de la DGEF. Ça ne marche plus. »
Un « bilan intéressant »
Nommé fin 2012, Pascal Brice a déjà fait deux mandats à la tête de l’office dont, de l’aveu de tous, il a contribué à dépoussiérer l’image, faire connaître le travail et moderniser le fonctionnement. « Il a fait beaucoup pour expliquer à l’extérieur ce qu’est un réfugié, pourquoi il est important que la France respecte ses engagements internationaux, souligne Sylvie Charvin, responsable de la CGT-Ofpra, premier syndicat à l’office. En interne, il a organisé des recrutements, mis en place des groupes de travail pour harmoniser les décisions, les rendre plus pertinentes et lisibles. On a aussi réduit les délais d’examen, multiplié les auditions en province lorsqu’il y a un afflux de demandes, et développé les missions à l’étranger. »
Pascal Brice présente un « bilan intéressant », défend Jean-François Ploquin, le directeur général de l’association Forum réfugiés, qui siège au conseil d’administration de l’Ofpra. « Dans un contexte d’augmentation de la demande d’asile et de réduction des délais, il a réussi à maintenir la qualité de la procédure. » Avec sa personnalité affirmée, sa culture de diplomate et son habileté à communiquer, M. Brice a incarné l’image d’une France assumant son « devoir d’humanité », dans une Europe en crise. Il a été d’autant plus à l’aise à tenir cette position que l’office bénéficie d’une indépendance fonctionnelle. Comme la loi le rappelle, il exerce sa mission « en toute impartialité » et ne reçoit « aucune instruction ». Ce faisant, M. Brice a pris ses distances avec le ministère de l’intérieur. En mars 2016, sous le précédent quinquennat, il annonce qu’il refuse de participer à l’application de l’accord UE-Turquie, qui autorise le renvoi de l’autre côté de la Méditerranée des Syriens éligibles à l’asile en Europe. Les désaccords se font ressentir plus encore quand, sous la présidence d’Emmanuel Macron, Gérard Collomb, tenant d’une ligne dure sur l’immigration, reprend le portefeuille de l’intérieur.
« Collomb voulait sa peau »
« C’est un secret de polichinelle que Collomb voulait la peau de Pascal Brice, lâche l’ancien eurodéputé et proche de M. Macron, Daniel Cohn-Bendit. Et derrière Collomb, il y a toute une partie de l’administration du ministère de l’intérieur. » Pascal Brice critique ouvertement la non-réforme du règlement de Dublin, combat les tentations d’externalisation de l’asile contenues un temps dans le projet de loi asile ou dans l’idée en germe de débarquer en dehors de l’Europe les migrants secourus en Méditerranée. Autant d’options poussées par la DGEF auprès des ministres place Beauvau. A l’inverse, il sait mettre en scène l’office lors de missions délocalisées en Afrique ou en se rendant au secours des réfugiés débarqués des bateaux humanitaires Aquarius ou Lifeline, à Valence ou Paris.
Au-delà des querelles d’ego sous-jacentes, le conflit traduit un divorce de fond entre Beauvau et l’Ofpra sur la façon dont l’asile doit ou non s’articuler avec la politique migratoire. Au ministère de l’intérieur, on s’inquiète de l’augmentation du nombre de demandes d’asile – qui devrait s’établir autour de 120 000 demandes en 2018 – et de l’embolie du système d’hébergement qu’elle génère. D’aucuns veulent y lire la conséquence de taux de protection trop généreux accordés aux deux premières nationalités de demandeurs, les Afghans (83,1 %) et les Albanais (6,4 %). Et déduisent que les migrants viennent chercher en France ce qu’ils ne trouvent pas dans les autres Etats de l’Union européenne. « Ils sont dans l’obsession de l’appel d’air », dénonce M. Cohn-Bendit. Comme Pascal Brice, il défend l’idée d’une autonomisation supplémentaire de l’office, et sa mue en une agence intégrée qui, en plus de l’examen de la demande d’asile, récupérerait toute la chaîne d’accueil des réfugiés. « Macron doit prendre sa décision en fonction des réticences à l’intérieur, poursuit M. Cohn-Bendit. Si la décision n’a pas été prise, c’est que ce n’est pas réglé. »« Il faut que le choix de fond prime », défend le député La République en marche (LRM) du Val-d’Oise, Aurélien Taché, également soutien de M. Brice. A cinq mois des élections européennes, celui-ci enverra un signal.